C'est
une époque reculée. La civilisation n'a pas encore dénaturé la
plaine herbeuse, la forêt aux alentours et le lac où se situe mon
village. Ici le climat est doux et la nature est encore vierge. C'est
presque un petit coin de paradis. Seules quelques maisons de bois
montées sur pilotis montrent que l'homme habite sur la rive de
l'immense étendue d'eau. Je suis grand et plutôt roux, barbu, et je
porte des vêtements de peau cousue. Avec d'autres membres du clan,
nous pêchons le poisson pour nourrir la communauté. Nous descendons
les pieds dans l'eau jusqu'aux mollets, parfois jusqu'aux cuisses.
Nous avons de grands filets que nous jetons à la surface de l'eau
puis que nous ramenons en espérant attraper de bonnes prises.
Cette
scène plutôt bucolique, je l'avais déjà décrite auparavant (voir
l'article 7- les vies simples). Elle décrit un épisode quotidien
d'une vie passée que je situe au néolithique dans une communauté
d'un village lacustre. Par « lacustre », j'entends qui
vit au bord d'un lac, et pas forcément sur l'eau en permanence. Les
maisons étaient construites sur les berges mais montées sur pilotis
afin de prévenir les crues saisonnières inévitables. C'était une
époque où les hommes étaient très dépendants et respectueux de
la nature et de ses cycles. Je la situe au néolithique, car selon
les scientifiques c'est à cette période que les êtres humains sont
devenus sédentaires en construisant des villages « en dur »,
permanents. Etymologiquement « néolithique » signifie
« pierre nouvelle » par opposition à « paléolithique »
« pierre ancienne » qui est la période précédente.
Avant les pierres étaient taillées, alors qu'au néolithique elles
sont polies. Cela dit, vous savez maintenant que certains souvenirs
de mes vies antérieures les plus anciennes m'amènent à remettre en
question ce que l'archéologie nous a inculqué. Je ne suis donc pas
certain que ce découpage temporel paléolithique-néolithique soit
pertinent. Plus les scientifiques cherchent et plus ils font reculer
le début du néolithique. On se rend compte petit à petit que les
êtres humains étaient déjà avancés à une époque plus reculée
qu'on ne le croyait auparavant.
Bref,
situer dans le temps cette vie passée de pêcheur néolithique est
donc impossible à quelques milliers d'années près. Elle est
peut-être la plus ancienne des vies que j'ai retrouvées, ou
peut-être pas. En tout cas c'est celle qui donne le plus une image
de ce que pourrait être l'origine de nos civilisations.
La
pêche au filet telle que je la décris est encore pratiquée dans
certaines parties du monde. Mais ce n'est pas la seule technique de
pêche que l'on utilise dans mon clan d'hommes préhistoriques
lacustres. Les plus habiles utilisent parfois le harpon. Le harpon
est une petite lance à pointe crénelée afin d'empêcher la proie
de se détacher quand elle a été harponnée. Elle est reliée au
bras du pêcheur par une fine corde afin de ne pas la perdre et de la
ramener facilement. Debout dans l'eau, il faut à la fois de la
précision, de la rapidité et de la force pour attraper un poisson
de cette façon. Mais certains y parviennent. Lorsque le poisson se
fait rare sur les berges, ou si on espère attraper des proies plus
grosses, on prend carrément les pirogues ou de grands radeaux faits
de rondins pour aller pêcher en eaux plus profondes. Je me suis vu
sur une de ces embarcations à partir de laquelle on pouvait utiliser
le harpon ou le filet, comme sur la berge. Je suis accompagné d'une
jeune fille, une adolescente aux cheveux bruns. Elle s'appelle Naïa.
Et moi c'est Gaerl. Bien sûr je ne sais pas du tout les noms qu'on
utilisait au néolithique. Même les scientifiques sont bien
incapables de le dire. Mais ces noms correspondent à ce que j'ai
entendu lors de mes régressions dans cette vie antérieure. La
dénommée Naïa était peut-être une petite sœur ou une autre
membre de la famille. Il me semble que le clan n'était pas très
important et tout le monde devait être plus ou moins apparenté. Par
ailleurs ces noms ne nous renseignent pas sur la localisation de ce
village lacustre, pas plus que les autres détails que je décris.
Les archéologues ont retrouvé des traces de villages lacustres
préhistoriques dans toute l'Europe, de l'est de la France à
l'Italie, en passant par la Suisse, l'Allemagne et j'en passe. Le
paysage que j'ai vu pourrait très bien se situer dans n'importe
lequel de ces pays. Et pourquoi pas même dans le Doggerland, cette
terre aujourd'hui immergée sous la mer du nord ? Après la fin
de l'ère glaciaire, la fonte des glaces a provoqué une montée des
eaux qui a englouti en quelques siècles ce territoire qui était
autrefois habité. Les scientifiques savent aujourd'hui que des
hommes y vivaient avant sa submersion définitive il y a environ 8000
ans. La vie de Gaerl pourrait tout aussi bien se situer en
Ile-de-France, faisant le lien avec ma vie actuelle, mais aussi avec
une autre vie antérieure, celle de Corot. Je ne sais pas quelle
étendue d'eau en Ile-de-France pourrait correspondre au « lac »
de mon village lacustre. Ca pourrait très bien être la Seine. On a
retrouvé en Ile-de-France des pirogues datant du néolithique. Cette
piste de l'Ile-de-France est intéressante mais pas du tout
confirmée. Par contre un autre indice joue en sa faveur, j'en
parlerai plus tard.
La
jeune Naïa est une incarnation passée de ma fille d'aujourd'hui. On
retrouve dans cette vie antérieure le principe qui se vérifie dans
toutes les autres, c'est-à-dire qu'un groupe d'âmes se réincarne
par affinité ou par la force du karma et se retrouve de vie en vie.
Dans ce clan préhistorique j'avais déjà retrouvé ma femme et mon
fils, comme je l'avais évoqué dans l'article 7. Ils étaient deux
hommes du clan. Et oui, ma femme était un homme à l'époque, sans
doute un frère ou un cousin. Mais il y a encore une autre personne
que j'ai pu identifier. C'est ma tante et marraine de ma vie
actuelle. J'ai revécu une scène dans laquelle plusieurs personnes
du clan mangeaient ensemble. Ca se passait à l'entrée d'une grande
maison de bois ouverte sur l'extérieur. Il me semble qu'on n'avait
pas de maisons individuelles dans notre petit village mais plutôt
des maisons communes pour des familles élargies. Et souvent toute
une partie du clan mangeait ensemble autour d'un repas commun. Cette
fois-là il y avait avec nous une femme qui m'évoquait une mère. Ce
n'est pas qu'elle paraissait très âgée. Elle était bras nus et
portait un étrange et épais couvre-chef sur la tête, ça
ressemblait à quelque chose fait de peaux de bêtes. Il me semblait
aussi qu'elle avait des motifs sur la peau, comme des peintures ou
peut-être des tatouages. Je ne suis pas sûr qu'elle ait été ma
propre mère, mais elle évoquait sans aucun doute une figure
maternelle. Je dirais même qu'elle semblait représenter une mère
pour tout le clan. Ce ne serait pas étonnant. Les objets
archéologiques de cette période, notamment des statuettes
féminines, indiquent que la société de cette époque en Europe
était très certainement matriarcale. Cette femme-mère avait un nom
étrange que j'ai retranscrit en « Rouyoud ». Et elle est
donc une de mes tantes aujourd'hui.
Les
activités du clan ne se limitaient pas à la pêche. On devait
chercher ou fabriquer tout ce dont on avait besoin. A cette époque
il n'y avait pas de commerçant chez qui acheter ces produits, et
encore moins de supermarché ! D'ailleurs l'argent, la monnaie,
était une notion inconnue. Il fallait construire ce dont on avait
besoin. Je me suis vu aligner à terre des branches d'arbres avec
leurs feuilles. Peut-être que j'évaluais si elles étaient assez
droites et toutes de la bonne taille. Et après les avoir taillées,
je les assemblais avec du cordage. Je ne sais pas quel objet je
fabriquais. C'était trop petit pour être un radeau, peut-être une
porte, une trappe, un plateau, allez savoir ? On exploitait tout
ce qui nous passait sous la main. On chassait pour la viande, et on
élevait sans doute aussi des bêtes, mais on utilisait tout ce qu'on
pouvait dans la carcasse. On se servait de la graisse, de la corne,
des os, et bien sûr de la peau. Comme tout le monde je participais à
toutes les tâches, et on préparait les peaux en les raclant avec
des pierres. C'était nécessaire pour les débarrasser de tous les
restes de chair qui restaient collés. D'ailleurs, cette scène
pourrait aussi bien se passer dans ma vie plus récente de trappeur
au Québec entre 19e et 20e siècle. J'étais trappeur et je vivais
de la chasse et du commerce des peaux à l'époque, et donc je devais
les traiter de la même façon. Apparemment ce n'était donc pas la
première fois que je faisais ça, et le souvenir inconscient d'une
vie antérieure préhistorique m'a certainement aidé.
A
côté de l'élevage, dans notre village néolithique on pratique
aussi l'agriculture. Tout à côté du village on a dédié une
petite parcelle de terre à la culture de céréales, des épis
chevelus qui sont peut-être de l'orge ou du seigle préhistorique. A
l'époque on n'a pas des champs ouverts comme chez nous aujourd'hui.
On devait protéger les cultures des bêtes sauvages. On a donc
édifié une palissade de bois avec des rondins taillés en pointes.
Après la récolte, comme pour le reste, chacun met la main à la
pâte pour travailler les céréales. Pour faire de la farine, on se
met à plusieurs et on mouds les grains à la main en les écrasant
avec de grosses pierres. Il fallait mériter sa pitance ! Manger
n'était pas aussi simple qu'aujourd'hui. Il fallait beaucoup de
travail pour avoir un repas digne de ce nom. Mais au moins on savait
pourquoi on travaillait. Nos vies avaient plus de sens que dans nos
sociétés modernes où on le perd si souvent, le sens de la vie.
Pour nos yeux d'êtres humains du 21e siècle, la vie à la
préhistoire nous apparaît comme une lutte permanente pour la
survie, un combat de tous les jours contre la nature, les éléments
et les bêtes sauvages. Mais c'est parce qu'on nous la présente de
cette façon. Allez vivre à la campagne en cultivant votre potager
et en élevant quelques poules et chèvres, en faisant un peu
d'artisanat et de système D, et vous aurez une idée de la vie de
nos ancêtres préhistoriques. Ce n'est pas plus compliqué que ça !
La seule chose vraiment différente c'est qu'à l'époque les
prédateurs carnivores étaient plus nombreux que maintenant, mais
ils étaient certainement moins agressifs envers l'homme. Il fallait
s'en préserver mais les attaques n'étaient pas courantes. Les
humains n'étaient pas assez nombreux pour mettre une pression sur
l'habitat des animaux et leur ôter le pain de la bouche comme ce fut
le cas à d'autres époques et jusqu'à aujourd'hui.
Et
bien sûr dans ces temps anciens on n'avait pas d'argent. A quoi bon
avoir une monnaie d'échange quand il n'y avait rien à échanger ?
A l'intérieur du clan quasiment tout appartenait au clan, les
maisons étaient communes, les cultures et les bêtes aussi. La terre
n'appartenait à personne. On ne faisait que l'occuper
collectivement. Ce n'est pas qu'il n'y avait pas de propriété
privée. Celui qui se fabriquait un outil pouvait en revendiquer la
propriété. Mais ça ne s'appliquait qu'à des objets faits de ses
mains, ou offerts de main en main. Dans ce sens il pouvait y avoir
des échanges, des trocs. Mais ces trocs n'étaient pas codifiés
avec des valeurs précises et des obligations de contrepartie. C'est
quand deux clans se rencontraient que des échanges pouvaient receler
plus d'enjeu et s'apparenter davantage à du commerce. Mais ça
n'avait pas l'ampleur du système économique et monétaire actuel.
Lorsque je discute de ce sujet, je répète souvent que l'argent est
un outil que l'homme a créé pour se faciliter la vie, mais
qu'aujourd'hui le créateur se retrouve dominé par sa création.
Comment se fait-il que la vie de milliards d'êtres humains soit
directement influencée par le pouvoir de l'argent ? L'argent
est une puissance qui peut faire et défaire des vies. Cependant
quand je dis ça ce n'est pas tout à fait vrai. L'argent n'est qu'un
moyen, comme n'importe quel outil. S'il se retrouve aujourd'hui avec
une telle influence et un tel pouvoir, c'est parce qu'il est utilisé
par des hommes qui se sont arrogé ce pouvoir. J'entends parfois ça
et là des personnes qui travaillent dans les domaines de la
spiritualité et du bien-être dire que l'argent est une énergie
comme les autres qu'il faut juste savoir respecter et utiliser. Ce
n'est pas faux. Comme n'importe quel outil, tout dépend ce qu'on en
fait. Au moyen-âge il était courant de détourner les pacifiques
outils des paysans pour en faire des armes : le fléau par
exemple. Ce simple bâton articulé destiné au battage des céréales
a été dévoyé pour en faire une redoutable arme contondante. Pour
l'argent c'est la même chose. A l'origine c'est un ingénieux
système qui permet de faire des échanges via des intermédiaires.
Pourquoi aujourd'hui en est-on arrivé à donner une valeur marchande
à tout et n'importe quoi ? A des graines, à des organes
humains, à notre générosité ? Comment quelqu'un a-t-il eu un
jour l'idée perverse de générer l'argent par l'argent (les
intérêts, les placements financiers, l'impôt sur l'impôt, le
trading, etc) ? C'est un système profondément injuste qui ne
fait que creuser les inégalités. Et ce n'est pas un effet
secondaire incontrôlable du système. Non, il a été créé ainsi
volontairement. De tous temps ce sont ceux qui possèdent l'argent
qui créent les règles qui le régissent. Celui qui crée les règles
de son propre pouvoir, on appelle ça un dictateur. Le pouvoir
oppresseur de l'argent est juste une dictature comme les autres. Pour
l'évolution de notre monde il serait temps de se pencher
sérieusement sur cette question et de réduire le pouvoir du monde
financier. Malheureusement je crains que ce ne soit qu'un vœu pieux
puisque ce sont ceux-là même qui détiennent ce pouvoir qui sont
aux manettes.
Mais
revenons au néolithique et à Gaerl, puisque j'ai eu d'autres
informations sur la vie au village lacustre. Aux abords du village se
trouve un lieu important qui a certainement une portée spirituelle.
C'est un espace creusé dans la terre et surplombé d'immenses
rochers plats. C'est une sorte de tumulus ou de dolmen fermé. On ne
peut y entrer que par une ouverture, et encore seulement à genoux ou
en rampant. On y pénètre avec une torche tellement il y fait
sombre. Je ne crois pas que nous ayons construit nous-mêmes ce
monument. Nous l'avons sans doute hérité de nos ancêtres. A
certains moments de l'année on y organise des célébrations qui ont
certainement un rapport avec les saisons et la course du soleil dans
le ciel. Les habitants du village participent à la préparation de
ces fêtes spirituelles. Je me vois avec la jeune Naïa en train de
peindre des motifs à la main sur la pierre du monument. Nous
utilisons une mixture verte, certainement constituée d'herbe ou de
feuilles écrasées, et nous l'appliquons directement avec les doigts
sur la pierre. Nous peignons des motifs dont je n'ai pas saisi s'ils
représentaient vraiment quelque chose ou s'ils étaient juste
symboliques. C'est une décoration éphémère qui disparaîtra avec
les prochaines pluies. D'ailleurs, je fais un rapprochement au moment
où j'écris ces lignes. Je me rends compte que c'est encore un
travail d'artiste, ce qui fait le lien avec les autres vies où j'ai
poursuivi ultérieurement dans cette voie. Ce travail est aussi une
source d'amusement, et avec Naïa nous rigolons beaucoup en nous
badigeonnant mutuellement de cette peinture verte sur le visage.
Malheureusement le travail sera certainement à refaire, car plus
tard un orage impressionnant éclate. Le ciel devient très sombre,
on se croirait presque en pleine nuit. Tout le monde se réfugie dans
une des grandes maisons communes. On craint les dégâts sur la
prochaine récolte. La mère Rouyoud est assise au milieu de
l'assemblée et adresse des prières ou des incantations. Elle lève
à deux mains au-dessus de sa tête un énorme poisson, peut-être
une offrande pour apaiser la colère du ciel. J'ai soudain
l'impression que le poisson est un symbole important de notre clan.
Serait-on le clan du poisson ?
Toute
cette scène est intéressante, ne serait-ce que par le monument que
je décris comme un espace creusé dans la terre et recouvert de
roches plates. Dans l'hypothèse d'une situation du village en
Ile-de-France je me suis documenté. Les étangs de Corot à Ville
d'Avray n'existaient pas à la préhistoire, ils ont été créés au
moyen-âge. Cependant, on a bien retrouvé des vestiges du
néolithique dans les bois aux alentours et dans les communes
adjacentes. Certains de ces vestiges sont attribués à la culture
SOM (Seine-Oise-Marne), une culture préhistorique de
l'Ile-de-France. Or parmi les caractéristiques de cette culture, on
trouve des sortes de tombes à ouverture, creusées dans le sol et
couvertes de dalles de pierre. Cette description se rapproche
fortement de ce que j'ai vu, c'est assez étonnant. Mais je ne vois
pas ça comme des tombes. J'ai plutôt l'impression que c'était
juste un espace sacré.
On
voit que ces êtres humains d'un lointain passé avaient aussi une
vie spirituelle sans doute très riche. En fait ils n'avaient rien à
nous envier. Aujourd'hui on a un confort de vie, certes, mais en
contrepartie cette vie est encadrée à l'extrême et nous sommes
soumis à un système destructeur pour notre planète et pour
nous-mêmes. Je n'ai pas tout vu de cette vie préhistorique, juste
quelques souvenirs qui ne peuvent pas résumer une vie à eux seuls.
Mais dans le peu que j'ai retrouvé je n'ai constaté aucune
violence, aucune de ces haines engendrées par la jalousie ou
l'envie, par les inégalités d'un monde injuste. J'ai juste revécu
une vie paisible en communauté et en harmonie avec la nature. Il est
assez rare qu'une vie antérieure ne soit pas entâchée par ce genre
de choses. Du coup, ça me donnerait vraiment envie de retourner un
peu à cette époque. Juste un moment pour se ressourcer. Pas vous ?
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